L’ignorance est une chance.

L’ignorance est une chance.

Ce texte est écrit à cause d’imbécillités. Et une imbécillité, c’est excluant.

« Le mot vient du latin imbecillitas, « faiblesse (de corps, d’esprit, de caractère) ». Aujourd’hui, en psychiatrie, c’est un degré de mesure de l’arriération mentale compris entre l’idiotie et la simple débilité. On considère que l’âge mental des malades atteints d’imbécilité varie entre trois et sept ans.
Dans un sens plus commun, c’est un défaut d’intelligence, de la sottise. »
https://www.cnrtl.fr/definition/academie9/imb%C3%A9cilit%C3%A9

À Saugues, en Margeride, il existe, depuis 1652, la confrérie des pénitents. Elle est toujours active, aujourd’hui. Ils portent une tradition, depuis 372 ans.

De cette confrérie, je connais, aujourd’hui, une petite dizaine de personnes. Il y en a d’autres. Je pourrais les nommer, parler d’eux. Ce ne sera pas le cas. Femme ou homme, ils sont d’origine sauguaine ou pas, présents dans le pays. Actifs. Fidèles. Souriants et souvent plein d’humour. Or, quand je les pense ensemble, je sens bien qu’ils ne sont pas comme les autres. Et cela est positif. Ils portent quelque chose. Même si aucun ne veut reconnaître sa particularité. Mais je témoigne qu’elle est.

J’ai dit que la confrérie des pénitents porte une tradition. Ils l’ont reçu, la vivent et la transmettent. Ils ont un lien avec le temps ; il est plus grand qu’eux. C’est un pont.

Cela peut se dire autrement. Aujourd’hui, quand on pense le temps, il n’est de mémoire que chez les centenaires. Celles, ce sont majoritairement des femmes (Elles mènent 5-0, à l’Ehpad de Saugues), qui ont leur tête, peuvent relater leurs souvenirs. D’habitude, pour remonter le temps, il faut prendre les livres ou la pierre, par exemple.

Pourtant, allons encore plus loin, dans le temps : Quand j’habitais l’Alsace, au début des années quatre-vingts de l’autre siècle, un de mes copains avait une grand-mère, chargée de mémoire. Elle se rappelait, quand elle était petite fille, d’une vieille dame. Beaucoup ont ce souvenir-là !

Oui ! Mais non ! Cette vieille dame racontait avoir vu, quand elle-même était petite fille, « passer les armées de Napoléon ». Ah !

Fais le calcul, tu verras que c’est arithmétiquement possible ; chacune de ces deux dames traversant presque un siècle. Et chacune avait transmis, sans savoir jusqu’où cela irait. Pont.

Autre pont ? Vers 1995, l’avion se pose à New York et je demande au chauffeur de taxi de m’emmener à Manhattan, vers Lafayette street. Ma prononciation de l’anglais lui fait facilement détecter le français. Et il continue la conversation dans cette langue. Je lui demande comment il connaît le français. La réponse est immédiate : « Je suis d’Haïti ! »

Simplifions l’histoire. L’île est décolonisée depuis 1804. Haïti est le nom que les habitants donnaient à leur île avant la colonisation européenne. Exit les Français. Mais pas le français.

Et voici comment, courtoisement, ce chauffeur de taxi et moi pouvions échanger en français. Ce n’est pas seulement un voyage par une double traversée de l’Atlantique (celles des colons, celles des esclaves…). C’est aussi un voyage dans le temps.

Comme pour les deux vieilles dames, comme pour le chauffeur de taxi, comme pour chaque pénitent de la confrérie, le temps est un pont. Aucun ne l’a laissé s’échapper. Tous se sont passés le témoin. Et le résultat est là.

Une confrérie, aussi ancienne que celle de Saugues, a, en plus, la mémoire des gestes, des objets, des vêtements, de sa chapelle. Le pénitent ajoutera, à propos, sa foi et celle de ceux qui l’ont précédé.

Au temps de la procession des Pénitents, le jeudi 28 mars 2024, le journal l’Éveil a fait un article. Le responsable de la rédaction et son photographe étaient « montés » à Saugues “couvrir” la procession. L’article était un marronnier, certes. Mais lui aussi transmet. Et du journal papier, l’article est passé sur Facebook, avec des photos. Tu vois sa copie d’écran.

Sur plusieurs photos, on voyait la tradition maintenue, les pénitents vêtus de la cagoule et de ce qu’ils appellent le sac.

Qui dit Facebook dit possibilité de commentaires : L’un d’eux parlait de « suprémaciste ». Quelques semaines après, je ne le retrouve pas sur Facebook. Par contre, sur la photo, on trouve en plus une référence au Ku-Klux-Klan. Le commentateur — j’ai effacé son nom — l’ayant écrit avec une orthographe erronée, l’algorithme de Facebook ne l’a pas reconnu et l’a laissé.

Ces commentaires ont blessé les pénitents. Ils se sont interrogés pour savoir s’ils devaient réagir. Une voix sauguaine et sage leur a conseillé le silence. Moi, j’ai envie d’en profiter pour te parler de l’ignorance, qui reste une chance…

Factuellement, à quoi avons-nous donc affaire ? À une assimilation irréfléchie et ignorante.

Malgré le proverbe qui dit que « l’habit ne fait pas le moine », les commentateurs ont mis, dans le même sac, pénitents et membres du Ku-Klux-Klan. Par la cagoule et le sac, évoqués plus haut.

« Le Ku-Klux-Klan est une société secrète terroriste suprémaciste blanche des États-Unis fondée vers 1866. » Faut-il ajouter des mots à cette -terrible-définition, tirée de Wikipédia ?

Qu’ont-ils en commun avec des pénitents ? Une cagoule et une robe.

C’est sûr ! Aujourd’hui, personne ne choisirait un tel costume ! Au XVIIᵉ siècle, c’était ainsi qu’on montrait l’humilité. Pour le pénitent, la porter au XXIᵉ est une partie du pont, la plus visible.

Le costume des pénitents est donc, simplement, le fruit d’une tradition commencée à un temps précis de l’histoire. Alors, oui ! C’est très ressemblant. Mais les pénitents ont l’antériorité. Et amalgamer les deux mouvements par le seul costume est de l’ignorance, garnie d’imbécillité.

L’ignorance est une chance. L’ignorance s’assume ou se refuse. Si tu l’acceptes, elle fait partie de toi et tu sais que tu ne sais pas.

Après, le problème, c’est l’imbécile : Quand tu lui montres la lune, il regarde ton doigt.

Seul l’imbécile rit de ce que son cerveau indigent ne peut accepter ; et même le sage risque de tourner en dérision ce qu’il ne peut voir, toucher, mesurer et peser.

Et donc, oui, l’ignorance est une chance. Tu peux combler ton ignorance ; tu peux ne pas la combler. Tu ne peux pas toutes les combler. Si tu ne la combles pas, fais-le en connaissance de cause.

Et si tu ne sais pas, tais-toi, comme l’a conseillé la sauguaine, plus haut. Ou bien, écoute le conseil en patois de Saugues : Vira sept cops sa lenga abos de parlar. (1)

Et puis, comme tu peux, saisis tes chances, contre l’Ignorance. Cela fera des ponts.

(1) “Tourne sept fois ta langue dans la bouche avant de parler.” – Le dire en patois est un autre pont…


Commentaires

Une réponse à “L’ignorance est une chance.”

  1. Avatar de La sagesse et la voix sauguaine
    La sagesse et la voix sauguaine

    L’ignorance, fait-elle peur à celui qui la ressent ?
    Parler pour paraître, lui donne-t-il une raison d’être ?

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